dimanche 29 août 2010

Cité lainière

Châteauroux, ville de 47.000 habitants, située au sud-est de Bourges, entre la Brenne et le Berry (ville d’enfance et de jeunesse de Gérard Depardieu), évoque Verviers à l’occasion des Journées du Patrimoine qui s’y dérouleront les 18 et 19 septembre prochain. Elle accueille une exposition itinérante, Châteauroux et les cités lainières d’Europe - découverte d’un patrimoine industriel commun : 14 villes drapières d’Europe sont illustrées par près de 700 photographies.
En 1856, Pierre Balsan, industriel héraultais, a créé à Châteauroux une industrie du drap de laine parmi les plus importantes - six hectares d'usine - et les plus modernes du pays. En 1910, les établissements Balsan occupaient 1200 travailleurs. L’usine a été fermée en 1982, la société transférée à 15 km de la ville ; reprise dans le groupe belge Associated Weavers (Renaix), l’activité est passée du drap (le « bleu horizon » militaire de la 1ère guerre mondiale) à la moquette de qualité.
L’industrie lainière de Châteauroux se voulait proche de la source. (L’Encyclopédie de Diderot mentionne : « Le Berry & le Beauvoisis sont de tout le royaume les lieux les plus garnis de bêtes à laine »).


On peut en dire tout autant de Verviers. L’Atlas des paysages de la Conférence Permanente du Développement Territorial (2007, Région wallonne) note : « A partir du 15e siècle, la fabrication et le commerce du drap prennent une certaine importance dans la vallée de la Vesdre, à Verviers et à Eupen. A cette époque, la laine provient de l’élevage des moutons qui parcourent les landes abondantes dans cette région. Utilisant la force motrice de l’eau et le charbon de bois des forêts voisines, des moulins à fouler la laine s’égrènent dans la vallée. Certains sont des anciennes forges transformées suite à une interdiction de forger des armes faite à la population par les ducs de Bourgogne. »
Après des siècles d’artisanat, sous Napoléon, l’industrialisation déferle sur Verviers, brisant le monopole anglais. Cette histoire nous est racontée par plusieurs auteurs : Antoine Gabriel de Becdelièvre-Hamal – 1836, Charles Ballot - 1923, Pierre Lebrun - 1948, Louis Bergeron - 1971, Claude Desama – 1985, Gérard Gayot - 2002, Eliane Gubin – 2006.
Quel aurait été le développement de Verviers et de ses environs si Henri Mali, représentant les intérêts de Marie-Anne Simonis (épouse Biolley) et son frère Iwan, n’avait pas, lors de son passage à Hambourg, montré de l’intérêt pour la proposition de William Cockerill, rencontré par hasard, qui avait déjà échoué à faire des affaires en Suède et en Russie ?
La proposition de William Cockerill visait à opérer une immense économie de main d’œuvre et de temps : « L’innovation technique qui a tout déclenché (ndlr : la technique était connue en Angleterre depuis longtemps), c’est l’assortiment de William Cockerill, cette combinaison de mécaniques, mue par la force hydraulique et opérationnelle à partir de janvier 1801, composée d’une machine à drousser (…) pour le cardage en gros et le mélange des couleurs, d’une machine à carder pour le cardage en fin, d’une machine à filer en gros (…), et de quatre machines à filer fin (…). Prix 12 000 F ». (Ndlr : la fortune de la famille Simonis à l’aube de la révolution industrielle est évaluée à 4 millions de francs).
Adriaan Linters rapporte que la machine à carder et la machine pour filature de gros remplacent chacune 24 ouvriers, les machines à filer fin remplacent chacune 24 ouvriers, soit une économie de 144 emplois. Gérard Gayot précise, page 11 de son passionnant article : « Pour un assortiment en fin, il faut 10 personnes, (…) un homme pour placer la laine sur la table (un drousseur), un homme pour filer en gros, trois garçons ou filles de 10 à 13 ans (…) pour mettre la laine cardée sur la machine à filer, 4 garçons ou filles de 16 à 18 ans (…) pour filer en fin, une aspleuse. Ces dix personnes, dont sept adolescents et enfants font le travail de 50 à 70 personnes ».
Vendue d’abord aux Simonis et aux Biolley en 1801, la machine se répandit parmi tous les drapiers, notamment grâce à James Hodson, gendre de William Cockerill. En 1810, Verviers était devenu le premier centre continental de la draperie cardée.


Jean Knott retrace la suite de l’histoire de la cité lainière : Verviers connut une reconversion à partir de 1850 en se spécialisant dans le traitement de la laine. L'expansion se fera de manière décisive après 1860, par l'exploitation de nouvelles ressources lainières venues d’Amérique du Sud, d’Afrique du Sud et d’Australie, et la mise au point de nouvelles technologies, plus particulièrement celles se rapportant à la préparation de laine avant transformation (le lavage, l'échardonnage, l'épaillage chimique ou carbonisage). En 1900, la production mondiale de laine était de 730.000 tonnes dont 110.000 tonnes étaient traitées à Verviers soit 15 % de la production mondiale. 1912 fut l'année record avec 112.000 tonnes de laine exportée, ce fut également la dernière ‘bonne année’. L’introduction des premiers détergents en 1910, qui ne nécessitent plus, comme pour le savon, l'utilisation d'eau douce, a eu raison petit à petit des atouts de la région en matière de qualité des eaux. Le traitement de la laine se fit sous d’autres cieux et la laine elle-même fit place à d’autres fibres.

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